Aménagement de la cuisine : les architectes d’intérieur nous inspirent

Élégante et raffinée, épurée et intemporelle ou graphique et colorée… La cuisine brille de mille feux sous la houlette des architectes d’intérieur. Trois d’entre eux nous expliquent leurs partis pris pour aménager cet espace de partage qui suscite l’engouement depuis plusieurs années. 

Une cuisine chaleureuse au cœur de la maison

Conçue comme un lieu vivant et chaleureux, la cuisine s’est imposée depuis quelques années comme la pièce maîtresse de la maison. Désormais, on s’y retrouve en famille autour du petit déjeuner ou du dîner, on y travaille, on y reçoit ses proches… Sous l’influence d’Anne-Sophie Pailleret, la cuisine est souvent replacée au centre du plan, totalement ouverte ou travaillée avec des claustras translucides mobiles. Traitée avec le même raffinement que les autres pièces, elle devient un « salon culinaire » placé sous le signe du confort et de la convivialité. Décoration amusante ou poétique.

 « D’un point de vue esthétique, la cuisine peut être un lieu d’expression ou de contemplation autant que le salon ou la chambre », Anne-Sophie Pailleret 

Une palette de teintes chaudes allant du rose au terre cuite, en passant par les caramel et orange confite s’y invite aisément, convoquant la cuisine du méridionale, les épices et les plats mijotés. Dans la continuité de l’univers créé, la décoratrice aime tisser des liens esthétiques avec les autres pièces à travers des jeux de matières et de couleurs, mais aussi des œuvres (photographie, tableaux, sculptures…) et objets d’art soigneusement sélectionnés. Sans oublier les appliques, variateurs et lampes à poser qui apportent une lumière tamisée, complémentaire à l’éclairage technique. « L’accessoirisation d’une cuisine a toute son importance : elle apporte du raffinement et de l’harmonie avec le lieu », souligne-t-elle. Les jeux de reliefs, les effets de matières et une myriade de détails précieux qui ne se révèlent pas immédiatement composent les intérieurs raffinés conçus par Anne-Sophie Pailleret

« Les clients veulent souvent que leur cuisine ne ressemble en rien à une cuisine et soit conçue comme une pièce de vie », renchérit l’architecte d’intérieur Fleur Delesalle. Hotte et petit-électroménager camouflés, appliques décorative comme dans un salon… De fait, l’usage dicte beaucoup la forme, les hauteurs des plans, des îlots… Au cœur de cette pièce centrale, l’îlot, symbole de convivialité, n’est selon elle pas prêt de disparaître. « C’est là que tout se passe ! »

Marbre, bois, granit et verre églomisé

Fleur Delesalle recommande les matériaux naturels et pérennes, sourcés en France ou en Europe – écologie oblige. La pierre, le bois(à condition de favoriser des chaînes d’approvisionnement courtes et des placages français), mais aussi la pierre de lave émaillée, un matériau « magnifique avec son aspect craquelé et intemporel », idéal pour un plan de travail car très résistant aux tâches et à la chaleur. Lassée du terrazzo, du travertin et des carreaux de ciment, elle proscrit également les matières plastiques comme le Corian. Cette adepte de l’épure, sensible à toute « pollution visuelle », « choisi[t] toujours très peu d’objets avec le plus grand soin » – quitte à opérer une rotation avec d’autres objets remisés dans les placards.

« Mes projets sont plutôt colorés mais peu chargésOù que mon œil se pause, je veux que ce soit beau », confie la créatrice.

Avec Anne-Sophie Pailleret, la cuisine se pare des matériaux les plus précieux pour peu qu’ils soient waterproof : cuirs, bois, métaux précieux (travaillés, brossés, ciselés, gravés, martelés), verre (décoré, peint), opaline… outre les marbres, céramiques, cannages et tissus. « Être capable de prendre des risques est le luxe ultime », déclare-t-elle. 

Couleurs et effets graphiques

« Il n’y a rien de pire que de s’ennuyer en faisant un choix qui ne nous plaît pas totalement. La cuisine, il faut la vivre à fond ! », s’enthousiasme Hugo Toro. Amoureux de la couleur et des partis pris forts, l’architecte d’intérieur se plaît à jouer des contrastes entre les matières, comme une pierre ou un marbre graphique d’un côté, et une matière « plus brute » de l’autre, comme du bois texturé, scié ou du métal patiné, révélant des stigmates. « Cette pièce ayant un côté pictural, j’aime y faire des choix assez marqués : des éléments à différentes hauteurs, des céramiques, des épices, de beaux couteaux… »  Plutôt que de camoufler la cuisine, il préfère rendre visibles les outils et le côté technique, « comme un bâtiment mis à nu ». Avant de rappeler l’importance du contexte chaque fois particulier : « On peut dessiner une cuisine bijou, mais il faut avant tout la penser comme un lieu vivant. Comme un sac à mains, la cuisine est le reflet d’une personne Même si on ne cuisine pas beaucoup, on peut s’y poser, y mettre des objets, un beau présentoir…. » 

« La cuisine est un endroit où l’on peut vraiment s’exprimer – jusque dans une poignée, qui apporte du caractère en plus de la praticité », ajoute Hugo Toro, pour qui on y sous-estime souvent le rangement. Couteaux hérités en corne ou en argent, planches en bois marquées de coups, épices, verrerie…

« L’âme de la cuisine se fait aussi par le contenu des tiroirs », Hugo Toro.

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Avenue Montaigne, un duplex comme une maison perchée sur les toits

Pour son premier projet résidentiel, le studio AFTER BACH a aménagé un duplex avenue Montaigne, au cœur du 8e arrondissement de Paris, dans l’esprit d’une maison de ville américaine des fifties. Conçu comme un écrin sophistiqué et moderne, ce pied-à-terre destiné à un client étranger fait harmonieusement dialoguer la matière et le mobilier vintage.

Après avoir créé un flagship pour la chocolaterie Damyel dans le 17earrondissement de Paris, Jessica Berguig à la tête de la galerie JAG, et Francesco Balzano, architecte et designer d’intérieur, signent un nouveau projet d’envergure sous le label AFTER BACH. Dans un immeuble des années 1970 de la prestigieuse avenue Montaigne, le studio d’architecture d’intérieur, né de la rencontre entre ces deux esthètes passionnés de décoration, de matière et d’art, a eu carte blanche pour rénover un duplex de 180 mètres carrés bénéficiant d’une grande terrasse avec vue sur la Tour Eiffel. Inspiré par le film culte de David Lynch Mulholland Drive, le duo créatif a imaginé l’espace comme une townhouse à l’esprit américain, dans une approche très minimale – quasi-japonisante – à l’abri du tumulte parisien. L’appartement aux deux derniers étages a été entièrement restructuré et réaménagé comme « une maison individuelle perchée sur les toits de Paris ». C’est le fil rouge du projet, développé dans un univers-surprise que le client n’a découvert qu’à la toute fin.

« Chaque projet est unique en ce qu’il épouse un lieu et un caractère. Nous nous adaptons à ce que chaque appartement nous raconte de singulier pour créer un univers différent », Jessica Berguig et Francesco Balzano

Une sensation d’espace amplifiée

Le tandem a redessiné les plans afin de proposer deux chambresainsi que la cage d’escalier. On entre dans les lieux par le 5e étage, intimiste. L’entrée, bien nette, dessert la chambre d’invité et sa salle de bain attenante. Puis on emprunte l’escalier, dont la trémie a été modifiée pour redonner de l’espace à l’étage supérieur, qui accueille le salon, la salle à manger, la cuisine, ainsi que la master suite. Arrivé tout en haut, le visiteur est récompensé par la découverte d’un grand niveau baigné de lumière et de son impressionnante terrasse, créant une coursive longeant tout l’étage. Précédemment couverte par une véranda, elle a retrouvé sa destination initiale dans un ingénieux dialogue entre intérieur et extérieur. 

« L’idée était d’agrandir les volumes, d’augmenter les espaces », explique Jessica Berguig

Effets de matières

Le duplex a été conçu dans l’esprit de grands ensembles. Ainsi, le projet s’articule autour d’un trio de matières : la pierre, le bois et des fibres naturelles. « Notre empreinte signaire, souvent minimale, repose sur la matière et l’aspect naturel des choses. Nos partis pris sont à la fois très forts, radicaux mêmes, et très purs », souligne Francesco Balzano. À l’intérieur comme à l’extérieur, l’appartement et sa spectaculaire terrasse sont pavés de pierre française de Massangis de couleur ivoire. « Nous sommes plus sur une approche constructive que décorative », explique le diplômé de Penninghen. Pour rappeler une townhouse, ce duplex est aussi habillé de panneaux muraux réalisés sur mesure en chêne massif, qui accueillent des revêtements en fibres naturelles déclinés dans des camaïeux des verts aux beiges selon les pièces. « On est à la fois sur une continuité, une récurrence du détail, et sur des variations subtiles ». En résulte une atmosphère apaisante et singulière pour un logement parisien.

« Nous avons souvent laissé nos émotions et notre intuition nous guider pour meubler cet appartement. Ce sont beaucoup de pièces coups de cœur », Jessica Berguig.

Mobilier vintage et contemporain

Cette toile de fond épurée, reposant sur des effets de textures, offre une certaine liberté dans le choix du mobilier et des pièces d’art. « C’est très important pour nous de faire une belle curation de mobilier », souligne la collectionneuse instinctive. Pour apporter un effet de contraste, le projet dialogue avec des pièces de mobilier de Jacques Adnet ou George Nakashima, des céramiques de Floris Wubben, et de nombreuses œuvres d’art signées par des artistes et designers contemporains, dont celles de Francesco Balzano – issues notamment de la galerie JAG et de la curation de Jessica Berguig. Son écriture personnelle s’articule autour de pièces coups de cœur et rares, où se mêlent les époques et les codes, afin de susciter une émotion. AFTER BACH a dessiné deux autres projets résidentiels – l’un place Dauphine, un autre avenue Montaigne – qui devraient voir le jour dans les mois à venir.

https://afterbach.com/ https://galeriejag.com / https://francescobalzano.com

> Article réalisé pour AD

Chasseur de tendances : les dessous d’un métier instinctif

Fin observateur du marché, esprit curieux de tout, il détecte les tendances et conseille les marques sur l’orientation à prendre. Elizabeth Leriche, directrice du bureau de style éponyme, spécialisé dans la décoration, lève le voile sur le métier-passion de chasseur de tendances.

AD : Votre métier de chasseuse de tendances en fait rêver plus d’un… Comment le définiriez-vous ?

Elizabeth Leriche : L’expression « bureau de tendances » est un peu galvaudé. Aujourd’hui, tout le monde se dit tendanceur mais ce n’est pas parce qu’on associe trois images et qu’on en sort trois couleurs qu’on tisse la tendance. Même si cela parle au grand public, je suis toujours un peu gênée par ces définitions car je fais des choses très différentes. Pour ma part, je préfère parler d’agence créative ou conseil. Ce qui est intéressant dans notre travail, c’est d’aider les gens à mieux vivre en trouvant des solutions à la fois esthétiques et fonctionnelles. Il s’agit de rendre les objets désirables par l’esthétique, le style, les couleurs et les matières.

AD : Quelle est votre activité au quotidien ?

E.L : Une partie de mon travail consiste à accompagner les marques, sur le temps long, en privilégiant une approche sur-mesure. L’autre, inscrite dans une temporalité très courte, est consacrée à l’événementiel. En fonction des projets, je constitue des équipes d’indépendants aux aptitudes différentes. Alors que les grands bureaux de style ont 40 salariés et des agences dans le monde entier, mon activité reste modestement artisanale.

AD : Vous ne faites pas de cahier de tendances, pourquoi ce choix ?

E.L : On pourrait croire qu’il y a une tendance générale. Or, il n’y a pas une mais des tendances. Certains bureaux de tendances font des cahiers de tendances qu’ils vendent à toutes les marques. Dans mon agence, nous ne vendons pas la même tendance à tout le monde car nous sommes convaincus que les marques ont besoin de se singulariser. Selon leur créneau – haut de gamme, moyen de gamme ou grande distribution –, nous nous adressons à des consommateurs différents. Notre force est de pouvoir nous adapter à l’ADN de chaque marque. Le sur mesure est donc très important pour nous.

AD : Comment parvenez-vous à vous projeter deux ans à l’avance ?

E.L : Nous travaillons actuellement sur 2025. Tout le monde me demande : « Alors, vous êtes devin ? ». En fait, nous ne partons jamais de rien : nous continuons à tirer le fil de ce que nous avons déjà proposé. Ce sont des cycles, des évolutions – mais pas forcément des révolutions car les gens ont besoin de réassurance. Pour se différentier, nous prenons certains risques avec des parti-pris audacieux : nous présentons quelques objets très forts et identitaires qui vont marquer la saison. Quand nous mettons en avant une thématique, c’est parce que nous y croyons. Dans ce métier, il faut avoir des convictions.

AD : Parlez-nous du processus créatif.

E.L : Il est primordial pour nous de comprendre l’évolution des modes de consommation. Quand nous conseillons une marque, il faut que cela plaise aux consommateurs pour rencontrer un succès économique. L’idée est ensuite de synthétiser cette analyse de l’air du temps pour guider les créatifs des marques. Je propose des thématiques spécifiques en fonction de la saisonnalité, de l’évolution des marchés et de mon client. Mon rôle est de stimuler leur imagination au service d’une histoire que nous voulons raconter. Pour cela, je m’intéresse à tout. Je dois sans cesse me renouveler, chercher des idées, être en éveil et en mouvement et capter tout ce qui se passe : au détour des rues, dans les muséesà travers le monde… Tout peut être « prétexte à ». C’est un métier où la curiosité est clé.

AD : Vous vous fiez donc beaucoup à votre intuition ?

E.L : Dans mon travail, il y a en effet toute une dimension sensible et spontanée, qui part des émotions et du ressenti. Que cela soit pour conseiller une marque ou créer une scénographie, je ferme les yeux et j’essaye de me mettre à la place des clients ou des visiteurs. Je me demande ce dont j’aurai envie dans deux ans selon différents scénarios. J’essaye de trouver le biais qui rassemble. Aujourd’hui, on a tous envie de vivre des expériences et de ressentir certaines émotions. En tant que tendanceur, nous devons proposer quelque chose d’honnête et authentique.

AD : Les tendances rencontrent-elles toujours leur public ?

E.L : C’est ce qui est le plus délicat dans notre métier : être au bon moment pour le bon client, ne pas manquer le coche d’avoir la bonne matière avant les concurrents. Avec les réseaux sociaux, tout va plus vite ; la difficulté est de ne pas se laisser entraîner par ce tourbillon. Il faut retrouver un peu de cohérence et de patience. Quand nous préconisons une couleur, elle peut parfois mettre deux ans à s’affirmer. Trop tôt, elle ne va pas marcher ; en même temps, il faut que les regards s’y habituent. C’est passionnant car c’est toujours un équilibre à trouver, même si c’est plus difficile aujourd’hui.

AD : Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ?

E.L : Beaucoup d’écoles d’art et de jeunes diplômés arrivent sur le marché. Je pense que tout le monde peut trouver sa place, mais les nouveaux bureaux de style ne sont pas nombreux. Ainsi, je pense que le métier va se réinventer. Les jeunes vont peut-être devenir leur propre éditeur grâce aux réseaux sociaux. Néanmoins, quand on commence, il faut être modeste ; apprendre un métier qu’on ne connaît pas lors d’un stage reste très formateur.

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