Chasseur de tendances : les dessous d’un métier instinctif

Fin observateur du marché, esprit curieux de tout, il détecte les tendances et conseille les marques sur l’orientation à prendre. Elizabeth Leriche, directrice du bureau de style éponyme, spécialisé dans la décoration, lève le voile sur le métier-passion de chasseur de tendances.

AD : Votre métier de chasseuse de tendances en fait rêver plus d’un… Comment le définiriez-vous ?

Elizabeth Leriche : L’expression « bureau de tendances » est un peu galvaudé. Aujourd’hui, tout le monde se dit tendanceur mais ce n’est pas parce qu’on associe trois images et qu’on en sort trois couleurs qu’on tisse la tendance. Même si cela parle au grand public, je suis toujours un peu gênée par ces définitions car je fais des choses très différentes. Pour ma part, je préfère parler d’agence créative ou conseil. Ce qui est intéressant dans notre travail, c’est d’aider les gens à mieux vivre en trouvant des solutions à la fois esthétiques et fonctionnelles. Il s’agit de rendre les objets désirables par l’esthétique, le style, les couleurs et les matières.

AD : Quelle est votre activité au quotidien ?

E.L : Une partie de mon travail consiste à accompagner les marques, sur le temps long, en privilégiant une approche sur-mesure. L’autre, inscrite dans une temporalité très courte, est consacrée à l’événementiel. En fonction des projets, je constitue des équipes d’indépendants aux aptitudes différentes. Alors que les grands bureaux de style ont 40 salariés et des agences dans le monde entier, mon activité reste modestement artisanale.

AD : Vous ne faites pas de cahier de tendances, pourquoi ce choix ?

E.L : On pourrait croire qu’il y a une tendance générale. Or, il n’y a pas une mais des tendances. Certains bureaux de tendances font des cahiers de tendances qu’ils vendent à toutes les marques. Dans mon agence, nous ne vendons pas la même tendance à tout le monde car nous sommes convaincus que les marques ont besoin de se singulariser. Selon leur créneau – haut de gamme, moyen de gamme ou grande distribution –, nous nous adressons à des consommateurs différents. Notre force est de pouvoir nous adapter à l’ADN de chaque marque. Le sur mesure est donc très important pour nous.

AD : Comment parvenez-vous à vous projeter deux ans à l’avance ?

E.L : Nous travaillons actuellement sur 2025. Tout le monde me demande : « Alors, vous êtes devin ? ». En fait, nous ne partons jamais de rien : nous continuons à tirer le fil de ce que nous avons déjà proposé. Ce sont des cycles, des évolutions – mais pas forcément des révolutions car les gens ont besoin de réassurance. Pour se différentier, nous prenons certains risques avec des parti-pris audacieux : nous présentons quelques objets très forts et identitaires qui vont marquer la saison. Quand nous mettons en avant une thématique, c’est parce que nous y croyons. Dans ce métier, il faut avoir des convictions.

AD : Parlez-nous du processus créatif.

E.L : Il est primordial pour nous de comprendre l’évolution des modes de consommation. Quand nous conseillons une marque, il faut que cela plaise aux consommateurs pour rencontrer un succès économique. L’idée est ensuite de synthétiser cette analyse de l’air du temps pour guider les créatifs des marques. Je propose des thématiques spécifiques en fonction de la saisonnalité, de l’évolution des marchés et de mon client. Mon rôle est de stimuler leur imagination au service d’une histoire que nous voulons raconter. Pour cela, je m’intéresse à tout. Je dois sans cesse me renouveler, chercher des idées, être en éveil et en mouvement et capter tout ce qui se passe : au détour des rues, dans les muséesà travers le monde… Tout peut être « prétexte à ». C’est un métier où la curiosité est clé.

AD : Vous vous fiez donc beaucoup à votre intuition ?

E.L : Dans mon travail, il y a en effet toute une dimension sensible et spontanée, qui part des émotions et du ressenti. Que cela soit pour conseiller une marque ou créer une scénographie, je ferme les yeux et j’essaye de me mettre à la place des clients ou des visiteurs. Je me demande ce dont j’aurai envie dans deux ans selon différents scénarios. J’essaye de trouver le biais qui rassemble. Aujourd’hui, on a tous envie de vivre des expériences et de ressentir certaines émotions. En tant que tendanceur, nous devons proposer quelque chose d’honnête et authentique.

AD : Les tendances rencontrent-elles toujours leur public ?

E.L : C’est ce qui est le plus délicat dans notre métier : être au bon moment pour le bon client, ne pas manquer le coche d’avoir la bonne matière avant les concurrents. Avec les réseaux sociaux, tout va plus vite ; la difficulté est de ne pas se laisser entraîner par ce tourbillon. Il faut retrouver un peu de cohérence et de patience. Quand nous préconisons une couleur, elle peut parfois mettre deux ans à s’affirmer. Trop tôt, elle ne va pas marcher ; en même temps, il faut que les regards s’y habituent. C’est passionnant car c’est toujours un équilibre à trouver, même si c’est plus difficile aujourd’hui.

AD : Comment voyez-vous l’avenir de votre métier ?

E.L : Beaucoup d’écoles d’art et de jeunes diplômés arrivent sur le marché. Je pense que tout le monde peut trouver sa place, mais les nouveaux bureaux de style ne sont pas nombreux. Ainsi, je pense que le métier va se réinventer. Les jeunes vont peut-être devenir leur propre éditeur grâce aux réseaux sociaux. Néanmoins, quand on commence, il faut être modeste ; apprendre un métier qu’on ne connaît pas lors d’un stage reste très formateur.

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Sonia Josse, fondatrice de Talâme : une entrepreneuse qui veut transmettre

La volonté de Sonia Josse ? Transmettre ses expériences et compétences entrepreneuriales. Elle a créé Talâme, une agence 100% digitale d’accompagnement à la création d’entreprise et au développement des TPE.

Entrepreneure dans l’âme, Sonia Josse a fondé Aynos, initialement une marque de chaussures grandes pointures femmes, devenue ensuite un atelier de stylisme et design de chaussures, puis Talâme, une agence 100% digitale d’accompagnement à la création d’entreprise et au développement des TPE. Humaine, positive et bienveillante, elle revient sur son parcours entrepreneurial atypique et sur la création de ces 2 entreprises. 

Bpifrance : Quels ont été les débuts de votre parcours entrepreneurial ? 

Sonia Josse. J’ai un parcours professionnel atypique. À la sortie de mon école de commerce en 2008 – en pleine crise économique –, je ne trouvais pas de travail. J’ai fait des petits boulots pendant 1 an ½ pour survivre, puis j’ai occupé un poste de chef de projet web pour des banques françaises et européennes, mais cela n’avait pas de sens à mes yeux. Après quelques années d’expérience, je me suis dit que j’étais enfin armée pour entreprendre. En 2015, j’ai eu l’idée de monter une entreprise de chaussures grandes tailles – moi qui chausse du 42-43. Je me suis faite financée par Crédit Agricole d’Île-de-France – pour qui j’ai tourné des spots valorisant leur accompagnement aux jeunes entrepreneurs  – et Initiative Seine Yvelines à hauteur de 130 000 euros sur 3 ans. De là est née Aynos. D’abord orientée vers le-commerce, l’entreprise a changé de business model pour la distribution puis le sur mesure. Depuis 2 ans, c’est un atelier de design qui travaille avec une quinzaine de petites marques qui veulent se lancer.

Parlez-nous de la création de Talâme 

SJ. Talâme, c’est une histoire d’amour, c’est mon bébé. J’adore entreprendre, c’est formidable ! Mais ça n’est pas si simple d’être bien accompagné. Quand on veut créer une entreprise aujourd’hui, les structures existantes vers lesquelles se tourner ont une approche essentiellement administrative. On n’a pas toujours accès à des entrepreneurs et on fait face à la solitude de l’entrepreneur. Avec Aynos, j’ai appris à entreprendre, à gérer des choses que je ne connaissais pas (gérer la clientèle, la concurrence qui évolue très vite, maintenir la confiance…). Je me suis dit que si j’en sortais vivante, il fallait que je transmette ces compétences. 

En quoi consiste votre activité ? 

SJ. Nous accompagnons des créateurs d’entreprise et des dirigeants de TPE/PME sur tous types de projets sans exclusion, de l’idée jusqu’au moment où ils se sentent prêts à se lancer et ce jusqu’à temps que l’entreprise soit solide. 

Il faut être très long-termiste dans l’accompagnement et proposer un programme complet. Nous ajoutons une mise en réseau (Talâme, c’est l’association du mont Tal, le volcan philippin, et Palam qui signifie « pont » en hindi). Nous créons des ponts, des passerelles de compétences : les entrepreneurs ne sont jamais seuls et peuvent parler à d’autres entrepreneurs.

Comment voyez-vous la suite de l’aventure ?

SJ. Talâme ayant une forte dimension sociale, je travaille à favoriser l’entrepreneuriat comme voie d’insertion professionnelle auprès de personnes éloignées de l’entreprise (personnes sans emploi, femmes victimes de violences conjugales, jeunes issus de zones prioritaires…) et à développer des programmes sociaux et solidaires. Je travaille avec beaucoup d’acteurs de l’entrepreneuriat social. 

J’aimerais avancer sur la mise en réseau et poursuivre le mentorat dans des écoles, des centres décrochages scolaires…. Cela peut générer des vocations, de l’espoir. L’idée est d’entretenir l’étincelle qu’on a dans les yeux de ceux qui entreprennent. Il faut que les gens continuent d’être heureux. Pour ma part, je suis une entrepreneuse heureuse ! 

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Joan Busquets, urbaniste visionnaire à l’écoute de l’histoire

L’architecte urbaniste catalan imprime sa vision de la ville dans les plus grandes métropoles du monde.

Architecte urbaniste influent de renomée mondiale, Joan Busquets jongle entre ses nombreux projets à l’international, son poste de professeur dans de prestigieuses universités et son rôle de directeur de l’agence BAU. Récompensé par plusieurs prix d’urbanisme, il s’est notamment distingué comme chef du projet urbain de Barcelone pour les Jeux Olympiques de 1992, mais aussi par la réalisation d’espaces publics et de travaux de rénovation de quartiers entiers. Rencontre avec un passionné.

Observatoire du design urbain : Professeur Busquets, vous êtes à l’origine de nombreux Masterplan en Europe et à l’international. Votre vision de la ville fait autorité dans le monde entier. Quelle est la spécificité de votre méthodologie ?

JB : Au plan méthodologique, il faut toujours composer avec l’histoire de la ville. On n’a jamais carte blanche pour travailler, même dans les villes nouvelles. On doit prendre en compte les gens mais aussi la dimension historique de la ville. En somme, la ville telle qu’elle est.

Le travail de l’urbaniste et de l’architecte consistera toujours à élaborer des projets. Ceux-ci peuvent recouvrir une grande partie de la ville – comme cela a été le cas pour Toulouse –, mais ils peuvent être plus particuliers, comme une place, un bâtiment, une espalanade, etc. Dans tous les cas, le projet renvoie à l’idée d’un endroit spécifique dans la ville. Il s’agit d’effectuer des changements dans la ville à partir d’un projet. C’est donc en cela que consiste ma méthode : regarder la ville comme elle est et y opérer des changements à partir de projets donnés.

vue de jour sur les gradins depuis le pont Saint-Pierre à Toulouse

ODU : Vous avez conduit le plan de rénovation urbaine du centre-ville de Toulouse et avez eu à coeur d’inscrire les développements de cette ville dans une perspective historique. Quels sont les éléments saillants de cette analyse ?

JB : Quand on travaille pour une ville aujourd’hui, il faut travailler avec son centre historique. Le centre-ville de Toulouse a été modifié d’une manière incroyable à partir du XVIIIe siècle. Cette ville a un patrimoine très riche, mais beaucoup de projets ont été incomplets. C’est d’ailleurs souvent le cas dans les centres-villes. Aujourd’hui, il faut travailler avec des orientations différentes : articuler les espaces, les bâtiments, les usages et les modes de fonctionnement. Globalement, il y a encore des choses à améliorer mais le centre-ville a déjà beaucoup évolué.

D’un autre côté, dans le travail que j’ai réalisé conjointement avec le paysagiste Michel Desvigne, on a considéré l’espace public comme des sujets d’étude. On a cherché à associer l’eau, les bâtiments et les arbres. L’idée était de maintenir les activités du centre-ville et d’en attirer d’autres qui ne s’y trouvaient pas encore. Par exemple, on devait augmenter la résidence dans le centre-ville. Et si l’on donne de meilleures conditions de vie aux habitants du centre-ville, plus de gens voudront y habiter.

Plan du développement de la ville de Toulouse

ODU : Quels sont les éléments clés de la réussite de la transposition d’une vision de l’urbanisme à sa mise en œuvre sur le terrain ?

JB : C’est une question importante, car aujourd’hui, les gens pensent que l’urbanisme, c’est bien mais que c’est impossible (on a toujours des difficultés à faire passer des idées…). L’espace public doit être réaménagé en tenant compte du bien-être des usagersAprès avoir conçu un schéma directeur, la méthode consiste donc à tester ce que l’on propose en situation réelle.

Ainsi, on a mis en place des actions pilotes pour que les gens puissent témoigner de ce qui marche et de ce qui doit être amélioré. On ne définit aucun projet sans le mettre en pratique ensuite via ces opérations pilotes. Ces actions concernent par exemple la végétation (améliorer un traitement paysager), les pavillons, les quais ou les terrasses de bar. On voit, par exemple, si les gens préfèrent des chaises ou des bancs pour s’asseoir dans les parcs, etc.

Toutes ces actions à échelle réduite permettent de tester la faisabilité de l’idée directrice et répondent à une logique d’expérimentation. On obtient toujours des avis différents, mais on reste à l’écoute du ressenti des occupants du centre-ville (habitants, visiteurs) et on s’adapte, on s’ajuste. Ces opérations permettent également aux usagers de comprendre la logique qui est à l’œuvre dans le projet directeur.

ODU : Quelle est la place du design urbain dans votre réflexion ? Celle du mobilier, de l’éclairage ?

JB : Je trouve que la question du design urbain est centrale. Elle renvoie à la question de l’intégration. Le design urbain est un concept qui englobe beaucoup de choses : la végétation, les commerce, les voitures, les bâtiments, les parcs… Il faut comprendre que le centre-ville est une conjonction de paramètres, parmi lesquels figurent la végétation, le mobilier urbain et l’éclairage. Il faut concevoir ces projets comme un ensemble, ce qui sera beaucoup mieux qu’une simple addition.

Vue nocturne des gradins de la place Saint-Pierre à Toulouse

ODU : Enfin, dans votre allocution pour le Grand Prix de l’urbanisme 2011, vous dites que « la ville du futur n’a pas de forme » mais que le rôle de l’urbaniste est de « contribuer à sa formalisation ». Quelle est votre vision de la ville du futur ?

JB : C’est difficile à dire, mais aujourd’hui, on sait qu’il faut travailler avec la ville dans son ensemble, la ville ancienne et la ville moderne et il faut imaginer la ville du futur avec tous les changements corollaires : les modes de vie différents, les nouvelles formes de mobilité, de travail, de loisir, etc. Il faudra comprendre la ville dans un nouveau contexte, avec tous ces futurs changements.

Ce qu’il faut dire, c’est que la ville d’aujourd’hui est mieux que la ville d’il y a trente ans, et la ville d’il y a trente ans était mieux que celle d’il y a soixante ans. C’est donc une perspective progressive et progressiste.

Il faut bien aussi comprendre que dans la ville du futur, il va falloir changer notre méthode, parce qu’il y a vingt ans, on prenait le projet comme sujet de travail et on l’appliquait dans la ville. Dans la ville d’aujourd’hui, il faut bien sûr des projets qui soient innovants, mais ces idées tiennent compte des structures, des bâtiments, etc. On a déjà changé la méthode de travail et on va continuer de la changer.

Il y a enfin chaque fois des histoires et des objets différents : il faut tenir compte de la spécificité de chaque ville. Je pense que la ville ne cesse de s’améliorer et le futur d’être meilleur. À mon sens, notre travail d’urbaniste consiste à se focaliser sur les centres-villes car ce sont des centres symboliques et réels des métropoles.

> Article réalisé pour L’Observatoire du design urbain

L'Observatoire du design urbain, magazine édité par Marc et Caterina Aurel, propose des pistes de réflexion sur les usages de la ville.
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